La broderie : aperçu historique  

 L’exécution d’une broderie nécessite un support d’étoffe préalable et permanent; le développement de la broderie est donc postérieur à celui du tissage, mais il est probable qu’il l’a suivi de peu et qu’il s’agit d’une activité déjà pratiquée par les premières civilisations.

La broderie est le moyen le plus simple pour orner un tissu. Il suffit d'une aiguille (d'abord en os, puis en bois, et maintenant en métal), de fils de laine, de lin, de coton ou de soie, fibre luxueuse introduite de Chine en Occident au 6ème siècle. Pour les ouvrages les plus précieux, on utilise également des fils d'or ou d'argent.

La facilité d’utilisation de la technique, le nombre d’outils réduit à un seul, l’aiguille ont permis à la broderie de se répandre dans toutes les classes sociales comme activité féminine par excellence. Paradoxalement, la production «commerciale» des broderies fut pendant très longtemps le monopole des hommes.

 

On sait par les textes que Babylone puis Byzance pratiquent avec luxe l'art de la broderie qui se répand en Occident dès le haut Moyen Age. Les Troyens, les Grecs, les Romains et surtout les Chinois et les Indiens la pratiquent. La belle Hélène brodait avec ses servantes les combats des grecs et des troyens…. À partir du 12ème siècle, les broderies françaises suivront toutes plus ou moins l’évolution de l’art gothique, tant dans la disposition que dans le traitement des décors et des personnages, pour ensuite, à la Renaissance, imiter les conceptions essentiellement picturales venues d’Italie. Les grands centres de broderie sont alors l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie où les premiers recueils de motifs et de points apparaissent au 16ème siècle. Aux 17ème et 18ème siècles, la broderie est pratiquée partout et pour tout ; elle continue à être employée pour décorer les objets destinés au culte et elle se déploie avec luxe sur les vêtements et dans l'ameublement. Au 19ème, elle devient un travail et un passe-temps pratiqués par les femmes. De nos jours elle n'est plus enseignée à l'école comme auparavant, mais elle connaît un regain de popularité.

Il ne reste pratiquement aucune broderie que l’on puisse attribuer avec certitude à la grande période de Byzance, c’est-à-dire avant le 11ème  siècle, même si certaines pièces célèbres sont exécutées dans le style byzantin. Par contre, il semble que les ateliers de broderie de Constantinople aient connu un nouvel essor lors des deux derniers siècle de l’Empire d’Orient  (1250-1453). Concurremment, les brodeurs italiens, allemands et anglais produisaient des broderies tout aussi raffinées. En France, la Tapisserie de Bayeux , en réalité une broderie en laine au point de chaînette, que l’on date du 11ème siècle et qui aurait été brodée par la femme de Guillaume le Conquérant, la reine Mathilde, constitue un exemple unique de broderie civile que l’on ne peut guère rattacher à une quelconque tradition. À partir du 12ème siècle, les broderies françaises suivront toutes plus ou moins l’évolution de l’art gothique, tant dans la disposition que dans le traitement des décors et des personnages, pour ensuite, à la Renaissance, imiter les conceptions essentiellement picturales venues d’Italie.

En Angleterre, l’opus anglicanum, terme sous lequel les ouvrages de broderie anglaise apparaissaient dans les inventaires et que l’on utilise encore de nos jours, était célèbre dès le 10ème siècle. Exécutés en fils d’or et en soies polychromes, les sujets représentés sont toujours religieux. Les vêtements sacerdotaux de l’archevêque de Canterbury, Thomas Beckett, exilé en France de 1163 à 1170, qui se trouvent dans la cathédrale de Sens, en sont l’un des témoignages les plus importants.

Au 12ème siècle, en Allemagne, la diversité des broderies est étonnante. Il y a, comme partout ailleurs, des broderies en fil d’or, héritières de la tradition byzantine ; celles-ci, mêlées de soies polychromes, étaient pour la plupart fabriquées à Cologne.(opus coloniense). Mais il existe, aux 13ème et 14ème siècles, aussi, et ceci est particulier à l’Allemagne, des broderies monochromes, en fil blanc sur tissu blanc [broderie blanc de blanc], parfois rehaussées de quelques fils de couleur au pourtour des motifs. La diversité des points employés dans ces broderies est destinée à compenser le manque de couleurs et ouvre la voie, de façon très originale, à ce que sera, un siècle et demi plus tard, la dentelle.

En Italie, les grands centres de production textile étaient, dans la plupart des cas, également des centres de broderie, puisque la matière première, le tissu, les fils de soie et les fils d’or y étaient facilement disponibles. Les plus belles productions datent de la Renaissance. Celles-ci s’efforcent alors de reproduire des peintures, ou plutôt de les imiter, voire de les égaler. L’étude de la broderie italienne de cette époque se confond donc avec celle des arts majeurs, plus encore qu’avec celle du textile proprement dit.

En Espagne, la broderie subit pendant longtemps l’influence stylistique de l’Orient, de façon plus accusée encore que les autres pays d’Europe. Il semble que les paillettes, de petits disques d’or ou d’argent percés d’un trou pour laisser passer le fil, y aient été inventées pendant la période mauresque. Après le 15ème siècle, l’influence italienne prédomine, comme partout en Europe

Selon De Laborde, « Durant tout le moyen-age et jusqu’à la fin du 16ème siècle, la broderie était un art, une chose sérieuse, estimable de la peinture. L’aiguille véritable pinceau, se promenait sur la toile et laissait derrière elle le fil teint en guise de couleur produisant une peinture d’un ton soyeux et d’une touche ingénieuse ».

Au cours des 17ème et 18ème  siècles, les broderies suivent de très près, dans la plupart des pays de l’Europe occidentale, l’évolution de l’art textile. C’est-à-dire qu’elles s’efforcent d’imiter, par des moyens différents, ce que font les tisserands avec les tissus. On y retrouve les mêmes décors et les mêmes harmonies chromatiques. Mais la broderie blanche coexiste alors, pour l’habillement, avec les broderies de couleur et rencontre un succès qui ne se démentira plus. Elle semble subir un déclin à la fin du 18ème ( D’Alembert ne lui consacre que trois pages dans son Encyclopédie) et disparaît presque complètement de 1790 à 1805..  

La broderie a été réglementée en France par des textes importants, par exemple  les statuts de la confrérie des brodeurs de Paris. Les premiers sont attribués à la fin du 13ème siècle par Etienne Boileau. Ils sont révisés en 1316. Ces statuts concernaient les conditions d’apprentissage et la direction de la corporation. Cet apprentissage durait huit ans et chaque maître ne pouvait avoir qu’un apprenti à la fois. Ils interdisaient le travail de nuit car « l’œuvre fete de nuiz ne peut estre ni bone ne souffisante come l’œuvre fet de jour » De nouveaux statuts apparaissent en 1648 qui forcent les brodeurs à se consacrer presque exclusivement à la confection des chasubles et autres ornements religieux ;.le nombre de maîtres est limité à 1200 et l’apprentissage réduit à six ans. A part ces travaux on ne broda plus guère que des étoffes légères. Ses statuts sont révisés en 1704. Dans le premier article (sur 44) il est noté « Ne sera reçu aucune personne dans le métier de brodeur …. Qui ne soit de la religion catholique, apostolique et romaine, et de bonne vie et mœurs ». La population de maîtres-brodeurs est réduite à 200 et aucun apprenti ne peut être formé tant que cette valeur ne sera pas atteinte. Sous Louis XV, Charles-Germain de Saint-Aubin, dessinateur-brodeur protégé de Mme de Pompadour, se distingue par ses broderies de fleurs et de papillons. Il est l'auteur d'un "Mémoire sur la broderie" et de "L'art de broder".. (Pour un complément d'information sur ce sujet, voir la monographie de J. Barberet.)

Au 19ème siècle, la broderie est devenue un art féminin, les anciennes corporations, comme la puissante corporation des brodeurs, ayant été abolies. Elle connaît un renouveau graduel au cours du siècle, et on compte environ 30000 brodeuses dans les Vosges en 1855. Au 20ème siècle elle devient l’apanage de quelques couturiers,, puis connaît une grande crise : s’il y avait encore une cinquantaine de maîtres-brodeurs à Paris en 1950, il sont moins de 10 aujourd’hui, avec François Lesage comme figure de proue.

Dans la régions de Fontenoy-le-Château, des brodeuses, véritables artistes, telle Lucette Nurdin-Vigneron de Selles en Haute-Saône, meilleures Ouvrier de France en 1989, continuent aujourd'hui encore à perpétuer cet art, comme en témoigne un portrait du 23 janvier 2005 de l'est Magazine

Lucette Nurdin-Vigneron brodant du blanc sur blanc au point de plumetis

Photo Jean-Loup Cornet